FINANCE ÉTHIQUE : DES VALEURS GAGNANTES

On peut épargner sur la base de critères éthiques et profitables. Mode d’emploi.

Comment réorienter vers l’économie réelle une finance devenue folle ? C’est l’enjeu des modes d’investissement alternatifs dont la finalité – entière ou partielle – est de redonner du sens à l’argent. Deux logiques cohabitent dans cette démarche vertueuse.

D’une part la finance solidaire, qui vise à investir dans des entreprises, des associations ou des sociétés coopératives à forte utilité sociale ou environnementale. D’autre part les fonds ISR, pour « investissement socialement responsable », qui recherchent en premier lieu la rentabilité tout en s’assurant que leurs placements intègrent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

« Ce qui les réunit, c’est une même ambition : faire de la finance un outil utile pour l’économie réelle. Mais beaucoup de choses divergent, en particulier les entreprises dans lesquelles l’épargne est investie, nuance Sophie des Mazery, directrice de l’association Finansol, dont l’objectif est de développer la solidarité dans la finance. L’épargne solidaire va financer des entreprises dont le but est de répondre à un enjeu de société : proposer des logements très sociaux aux exclus, offrir des parcours d’insertion à des personnes éloignées du marché du travail, développer des énergies renouvelables citoyennes… Avec l’ISR, l’argent est investi dans des entreprises cotées dont le premier objet est de maximiser leurs résultats mais qui ont une démarche ESG de qualité ».

DERRIÈRE L’OXYMORE

Dans l’univers de la finance éthique, l’épargne solidaire s’illustre donc par la volonté de rendre un service d’intérêt général en irriguant une économie sociale et solidaire (ESS) qui peine à trouver des financements sur les marchés classiques.

Si finance et solidarité sont deux termes difficilement conciliables, les Français tendent à s’affranchir de cette apparente contradiction : on compte désormais plus d’un million d’épargnants solidaires dans l’hexagone. Rien qu’en 2016, près de 200 000 placements de ce type ont été souscrits, pour un montant de 1,3 milliard d’euros, selon les chiffres du baromètre Finansol-La Croix.

Cette collecte porte à 9,76 milliards d’euros le total des sommes investies dans des produits solidaires, soit une progression de 15,5 % sur un an.

Les encours ne représentent encore que 0,19 % du patrimoine financier des Français, qui s’élève à quelque 4 400 milliards d’euros, mais ils sont quatre fois supérieurs à leur montant de 2009.

Une évolution spectaculaire que Sophie des Mazery impute à une quête de sens accentuée par la crise financière de 2008.

Les épargnants, qui sont des particuliers pour l’essentiel, ont découvert que la finance spéculative avait pris le pouvoir, avec des conséquences terribles pour les populations. Du coup, de plus en plus de gens se posent la question de l’utilisation de leur épargne.

Sophie des Mazery, directrice de l’association Finansol

Elle rajoute « Au-delà de la rémunération, ils souhaitent savoir à quoi servira leur argent, choisir eux-mêmes ce qu’il va financer »

LES PRODUITS DE PARTAGE ONT LA COTE

De fait, les épargnants solidaires s’orientent massivement vers des placements consacrant tout ou partie de leurs ressources au financement d’acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Avec la loi Sapin 2, les détenteurs du nouveau livret de développement durable et solidaire (LDDS) peuvent désormais faire don d’une part de leur épargne pour financer une structure de l’ESS. Avant cela, le particulier passait par des fonds solidaires, dits « 90/10 » parce que 5 % à 10 % des sommes récoltées vont à des entreprises ou associations éligibles, le reste étant investi dans des valeurs ISR plus ou moins sélectives.

Ces produits sont largement portés par l’épargne salariale depuis que la législation impose aux sociétés de proposer au moins un fonds solidaire à leurs salariés. Ils s’acquièrent aussi dans le cadre de comptes-titres de type Sicav, fonds commun de placement et contrats d’assurance-vie. L’assureur MAIF n’en propose qu’un à ses clients, et il est solidaire.

Autre possibilité : acheter directement des parts sociales d’entités de la sphère éthique et solidaire comme La Nef (lire page 50) ou le réseau Cocagne engagé dans l’insertion sociale.

Mais la tendance la plus notable est le choix des produits de partage.

L’épargnant investit dans un placement classique, le plus souvent un livret, une Sicav ou un compte à terme, et accepte de reverser 25 % à 100 % des intérêts à un ou plusieurs organismes. La plupart des établissements bancaires proposent aujourd’hui des placements de partage, à commencer par les pionniers du solidaire que sont le Crédit coopératif, La Nef et la Banque Postale.

Celle-ci a mis en place une option de partage pour tous ses livrets réglementés et va jusqu’à abonder de 10 % les dons consentis par ses clients. La mutuelle Carac propose quant à elle une solution d’épargne conjuguant rendement (4 %) et partage, 1 % de chaque souscription étant reversé à une association d’utilité publique.

En 2016, cette forme de financement solidaire, qui donne droit à une réduction d’impôt, a généré 5,02 millions d’euros. Parmi les 113 associations bénéficiaires, Habitat et humanisme se classe première en termes de dons reçus avec 965 700 euros, suivie du CCFD-Terre solidaire (565 500 euros) et de Terre et humanisme (370 900 euros).

LES DROITS HUMAINS S’Y METTENT AUSSI

Nous avons pour notre part noué des partenariats avec des banques triées sur le volet qui proposent à leurs clients de faire don de leurs intérêts sur certains produits d’épargne pour soutenir l’ONG : le Crédit mutuel, son partenaire historique, le Crédit municipal de Toulouse et plus récemment La Nef. Des accords de partage existent également avec les contrats d’assurance-vie Solid’R Vie de Fapès Diffusion et Ethic Vie de Chastel Gestion.

Nous nous sommes rapprochés d’établissements dont les valeurs humanistes font écho aux nôtres. Avec La Nef, le partenariat ouvre le champ de la protection des droits humains à une offre d’épargne plus traditionnellement orientée vers la transition écologique et sociale,

Audrey Roy, responsable partenariats et mécénat à Amnesty International France

Notre positionnement éthique et notre souci d’être très indépendants de tout intérêt politique et économique ne nous permettaient pas de nous associer à des structures présentant un risque d’implication dans des cas de violations des droits humains ».

De son côté, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) bénéficie du fonds de partage Libertés et solidarité, dont les actifs atteignent 20 millions d’euros.

« L’une des particularités de cette Sicav est que les épargnants s’engagent à verser la moitié de leurs revenus à la FIDH pour financer ses actions », indique Najib Sassenou, directeur ISR et développement durable à la Banque Postale asset management, qui en assure la gestion.

« L’ONG s’implique activement dans la sélection et le contrôle des valeurs en portefeuille, des obligations d’État et d’entreprise mais aussi des actions, pour que l’argent investi ne soit pas en contradiction avec ses valeurs », détaille-t-il. En sont exclues les entreprises participant ou tirant profit de l’activité économique des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens ou encore celles opérant dans les secteurs de l’armement et du nucléaire.

LES PREMIERS DE CLASSE

Car ce fonds labellisé par Finansol est aussi un fonds ISR, géré selon une approche best-in-class, qui consiste à sélectionner les émetteurs de titres les plus performants dans leur secteur d’activité en fonction de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

À cela s’ajoute un filtre extra-financier très sélectif en matière de droits fondamentaux et de respect de l’environnement qui le conduit à écarter plus de 95 % des entreprises et 45 % des États analysés !

Une démarche comparable à celle du fonds Éthique et partage, lui aussi solidaire et ISR, qui est géré par Meeschaert AM pour le compte du CCFD-Terre solidaire. L’ONG y joue un rôle central puisqu’elle est à la fois associée au comité de gestion et en charge du comité d’éthique.

Résultat : ce fonds particulièrement vigilant en matière de droits humains et regardant sur le plan sectoriel est devenu en septembre 2015 le premier en France à exclure les énergies fossiles de ses investissements. En plus du tabac, de l’alcool, de la pornographie, de l’armement, des jeux d’argent et des OGM…

À ce niveau de sélectivité, on atteint ce que le centre de recherche Novethic, filiale de la Caisse des dépôts et spécialiste de l’investissement socialement responsable, qualifie d’ « ISR de conviction ».

Avec 24,6 milliards d’euros d’encours au premier trimestre 2017, il représente désormais 20 % des 128 milliards d’euros mobilisés dans l’ISR en France et les principales sociétés de gestion le pratiquent.

Mieux, il contribue à tirer les investisseurs vers d’autres critères de mesures que les indices boursiers, notamment vers l’empreinte carbone des portefeuilles et les créations d’emplois. « En combinant les approches de sélection ESG les plus exigeantes et les investissements thématiques sur des dimensions environnementales et sociales, on ne fait pas le même choix de portefeuille, observe Anne-Catherine Husson-Traoré, la directrice générale de Novethic. L’ISR de conviction s’appuie sur l’idée qu’il faut sélectionner les entreprises les plus responsables et durables, celles qui servent à promouvoir l’économie réelle, qui contribuent à moins détruire l’environnement, à moins prélever de ressources et à mieux respecter les droits humains dans l’ensemble de la chaîne de sous-traitance ».

FAUX SEMBLANTS

Sur les 400 fonds ISR proposés aux épargnants, bon nombre ne sont éthiques que de façade même s’ils revendiquent l’appellation.

Un vrai fonds éthique doit être cohérent avec sa sélection de valeurs mais ce n’est pas parce qu’il exclut 10 à 15 entreprises que le reste est absolument irréprochable

Anne-Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic

Dans ces conditions, le fort développement de l’investissement responsable (+29 % en 2015), porté à 77 % par des investisseurs institutionnels, assureurs en tête, correspond surtout à une judicieuse répartition des risques, sous couvert d’analyse ESG. « Les fonds qui bénéficient du nouveau label public TEEC (transition énergétique et écologique pour le climat) ne vont pas forcément exclure les énergies fossiles par souci éthique mais parce leur clientèle recherche des produits en lien avec ses objectifs », renchérit l’experte.

Sur les 400 fonds ISR proposés aux épargnants, bon nombre ne sont éthiques que de façade

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On est loin des premiers fonds éthiques gérés par des congrégations religieuses anglo-saxonnes dont la principale préoccupation était de ne pas investir dans le vice.

« En France, l’ISR est orienté vers la sélection positive plutôt que vers l’exclusion. Mais maintenant que les entreprises ont des démarches plus vertueuses dans leur secteur d’activité, il faut veiller à prévenir le greenwashing. Nous devons vérifier dans quelle mesure elles agissent en faveur du développement durable au travers de leur modèle et de leur contribution à la réduction des gaz à effet de serre », note Najib Sassenou.

Les pouvoirs publics en sont conscients et s’efforcent de donner de la visibilité aux fonds qui favorisent la transition énergétique et la cohésion sociale. Après le label TEEC initié par le ministère de l’écologie, Bercy a lancé une certification ISR destinée à guider le choix des investisseurs « responsables ».

Des initiatives utiles dans un secteur en manque de régulation et où pullulaient les étiquetages : Novethic, CIES, Afnor… Ces outils publics s’ajoutent à ceux que proposent des acteurs privés comme la société de notation Morningstar pour identifier les produits les mieux-disants sur le plan ESG. Reste que, contrairement à la finance solidaire, il est encore bien difficile de mesurer l’impact réel de l’ISR sur le plan environnemental et social.

D’autant que dans le projet de loi de finance adopté par l’Assemblée nationale en octobre, le gouvernement met fin aux incitations fiscales pour l’actionnaire solidaire. Une mesure qui montre que la finance « solidairement responsable » est loin d’être comprise.

Source : Amnesty International

Lien : https://www.amnesty.fr/responsabilite-des-entreprises/actualites/finance-ethique–des-valeurs-gagnantes

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